Les législateurs sont un élément clé du processus démocratique. Foto24/Getty Images

Les parlementaires africains sont-ils à l’image de leurs électeurs ? Une analyse dans 17 pays

D'ici fin 2025, 42 pays africains auront organisé des élections nationales au cours des 24 derniers mois. Mais ces élections aboutissent-elles à des parlements qui reflètent fidèlement les sociétés qu'ils servent ? Hormis les études sur les femmes dans les assemblées législatives africaines, il existe étonnamment peu d'informations sur cette question importante.

Les parlements élus incarnent l'essence même de la démocratie représentative. Les législateurs sont plus susceptibles de connaître les besoins et les souhaits des électeurs s'ils ont le même âge, le même sexe, la même langue, la même éducation ou la même profession.

En tant que spécialistes du paysage politique en Afrique, nous avons cherché à déterminer dans quelle mesure les parlementaires reflètent le profil de leurs électeurs. Nous avons comparé les résultats de deux enquêtes distinctes menées entre 2009 et 2012 dans les mêmes 17 pays africains.

La première provient de l’African Legislatures Project. Elle a interrogé 823 représentants élus (députés). La seconde a été réalisée par Afrobarometer, un réseau de recherche panafricain.

Notre étude a révélé de grands écarts entre les citoyens et leurs représentants à certains égards, mais un degré élevé de similitude sur d'autres aspects.

Par rapport aux citoyens africains ordinaires, les législateurs africains possèdent des niveaux d'éducation beaucoup plus élevés. Ils sont également beaucoup plus susceptibles d'être plus âgés, de sexe masculin et viennent souvent des milieux professionnels ou d'affaires. Pourtant, le profil général des législateurs reflète de façon assez fidèle celui des électeurs en termes d'ethnicité et de religion.

Religion et appartenance ethnique

L'une des conclusions les plus frappantes est la correspondance entre la composition religieuse, linguistique et ethnique des assemblées législatives et des électeurs africains.

Dans les 17 pays, la proportion de législateurs musulmans ou chrétiens est très proche de celle de leurs électeurs. Ils sont également similaires au niveau de la confession religieuse (par exemple catholique, méthodiste ou pentecôtiste).

Les langues parlées par les parlementaires reflètent étroitement celles parlées par les citoyens de leur pays. Dans certains pays, la concordance est très élevée. Au Lesotho, par exemple, presque tous les députés et les citoyens parlent la même langue (le sesotho). Au Zimbabwe, la répartition des députés parlant le shona et le ndebele est à peu près la même que celle de la population.

Il y a moins de concordance en Tanzanie (où beaucoup plus de parlementaires indiquent que le swahili est leur langue maternelle que le kisukuma, que la plupart des citoyens parlent). Et en Namibie et en Afrique du Sud, la plupart des députés disent parler l'anglais à la maison bien que les langues majoritaires soient respectivement l’oshivambo et le zoulou.

De nombreux universitaires soutiennent que les systèmes électoraux à représentation proportionnelle (où les gens votent pour des listes de partis, plutôt que pour des candidats) sont nécessaires pour refléter la diversité ethnique. Nos conclusions démontrent que ce n'est pas nécessairement le cas.

Des sociétés très diverses utilisant le mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour - comme le Zimbabwe, le Ghana, le Malawi ou l’Ouganda - parviennent aussi à refléter cette diversité. En effet, les partis politiques sélectionnent stratégiquement des candidats qui reflètent les identités religieuses et ethniques de circonscriptions spécifiques afin qu'ils soient perçus comme comme appartenant à leurs communautés.

Lorsqu'ils ont le choix entre des candidats d'origines religieuses ou ethniques différentes, les électeurs ont tendance à préférer celui qui leur ressemble. Ils ont le sentiment que les candidats qui viennent de leur région ou parlent leur langue sont plus susceptibles de comprendre leurs besoins et leurs préférences.

Éducation et profession

Notre étude a également établi que les élections africaines donnent lieu à des parlements composés d'élus plus âgés, majoritairement des hommes, nettement plus instruits et plus aisés que leurs électeurs.

Alors que seulement 9 % des citoyens possédaient un diplôme universitaire dans ces 17 pays au cours des années étudiées, 58 % des députés en avaient un. En Ouganda, ce chiffre atteignait 90 %, illustrant un écart notable en matière de niveau d’éducation entre les députés et la population.

Les parcours professionnels révèlent également un grand déséquilibre. Une grande partie des députés sont issus des secteurs des affaires (24 %) ou des professions libérales (27 %). Les citoyens moyens sont généralement des ouvriers ou des travailleurs agricoles.

Sexe et âge

Bien qu'elles représentent environ 50 % des sociétés africaines, seulement 18 % des parlementaires que nous avons interrogés étaient des femmes.

Les systèmes de vote à représentation proportionnelle améliorent l'équilibre entre les sexes. C'est le cas au Mozambique (40 % de femmes parlementaires), en Namibie (35 %) et en Afrique du Sud (28 %). Mais d'autres mécanismes, tels que les quotas de genre dans le processus de nomination des partis au pouvoir (Tanzanie, 32 %) ou les sièges réservés (Ouganda, 27 %), augmentent également la représentation des femmes.

Enfin, les élus sont en général plus âgés que leur électorat. Mais les législateurs africains semblent jouir d'un certain prestige. Alors que l'âge médian de la population citoyenne de plus de 18 ans dans ces 17 sociétés est de 33 ans, l'âge médian de notre échantillon de députés était de 53 ans. Cela soulève des questions sur la capacité des législateurs plus âgés à comprendre et à répondre pleinement aux préoccupations des jeunes générations.

Les parlementaires sont-ils une « élite au pouvoir » irresponsable ?

Nous nous sommes également demandé si les avantages sociaux et économiques procurés par l'enseignement supérieur et l'expérience dans le monde des affaires et des professions libérales pouvaient maintenir les députés au pouvoir et les éloigner des préoccupations des citoyens.

Deux éléments viennent nuancer cette hypothèse.

Tout d'abord, nous avons examiné les marqueurs potentiels de statut et d'influence : l'enseignement universitaire, un parcours professionnel prestigieux et les postes précédemment occupés à la direction d'un parti, au sein du gouvernement national ou d'une administration locale. Il s'avère que le député moyen n'avait accumulé que deux de ces éléments.

Nous avons d’abord analysé plusieurs indicateurs potentiels de statut et d’influence : le niveau d’études supérieures, un parcours professionnel prestigieux, ainsi que des fonctions antérieures au sein de la direction d’un parti, du gouvernement national ou d’une administration locale. Il s'avère qu'en moyenne, le député ne cumule que deux de ces éléments.

Deuxièmement, conformément à d'autres études sur les parlements qui trouvent des taux de renouvellement surprenants. Les députés interrogés n'étaient en poste que depuis 5 ans en moyenne. Autrement dit, leurs positions privilégiées ne leur garantit pas une carrière parlementaire prolongée.

Que retenir de ces résultats ?

Ces résultats donnent des éclairages en perspective des prochaines échéances électorales.

La plupart des partis au pouvoir ont été humiliés lors des élections de 2024, et plusieurs ont perdu leur majorité au Parlement (Botswana), Ghana, Maurice, Sénégal et Afrique du Sud). La tendance à un taux de renouvellement élevé des législateurs semble devoir se poursuivre.

Ainsi, les parlementaires nouvellement élus ne constituent probablement pas une « élite au pouvoir » homogène. Le véritable enjeu réside plutôt dans la valorisation des compétences considérables qu’ils apportent, afin qu’ils puissent jouer un rôle plus actif dans l’élaboration des lois et dans le contrôle de l'exécutif.

This article was originally published in English

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